Bureau de HaO

Le domestique avait abandonné Masatada devant la porte du bureau de HaO, peu désireux de croiser l’intendant. Il avait accompli son devoir, et retournait vers la cuisine pour éplucher la tonne de patates qui restait. Le larbin râlait à cette pensée, mais au moins il aurait quelque chose d’amusant à raconter pendant cette corvée, car le visage de cet inconnu n’était pas banal ! Et puis, il fallait avouer que les étrangers étaient rares à Eden ; tout le monde se connaissait et les nouveaux venus étaient donc un grand sujet de conversation. Et les paris allaient bon train bon savoir s’ils allaient ou non survivre…


HaO avait rappelé Masatada, alors que ce dernier venait de le quitter. L'intendant avait-il prémédité cette action ? Mystère… Personne ne connaitrait jamais le fond de la pensée du vieil homme. Ce dernier faillit esquisser un sourire en entendant arriver son interlocuteur : l’intendant allait lui faire une telle crasse qu’il en jouissait par avance. Et il serait récompensé par Tirina pour cela en plus. Grâce à cette action, il pourrait obtenir ce qu’il voulait de la chef de la mafia, et juste en sacrifiant un vulgaire pion. Masatada constituait donc le précieux instrument de son échange équivalent ; il ne fallait pas le gaspiller.

Avant même que l’homme qui rit frappe, HaO lui ordonna d’entrer. Rien ne laissait soupçonner son euphorie : le vieillard était fidèle à lui-même. Assis dans son fauteuil, attendant tranquillement que Masatada se déplace jusqu’au bureau au fin fond de la pièce, l’intendant n’ouvrit pas la bouche. Il ne daignait pas expliquer la situation à son interlocuteur pour le moment, se délectant par avance de l’impatience – de la colère peut-être même – de l’homme éternellement souriant. Malheureusement, pour que son plan fonctionne, HaO devait faire vite : la mission [β-2-J-101] n’attendrait pas.

[HJ : Haha, j'ai retrouvé la faute d'orthographe que t'avais faite et qui m'avait fait trop rire; elle est dans ton post d'avant trouve laaaa 8D]

[=> du Parc d'Eden]

Encore une fois il se trouvait devant le bureau d'un vieux bouc malaimable. Encore une fois, il allait devoir sortir la carte de la patience et de la docilité. Encore une fois, ses nerfs seraient mis à l'épreuve.

°J'en ai marre...°

Le laquais avait littéralement fui à l'instant où Masatada avait été conduit. Ce qui allait se passer n'était pas de son ressort devait-il se dire... mais c'était à cause de lui que l'Homme qui Rit allait revoir HaO. Il le retiendrait, celui-là...
Alors qu'il allait toquer à la porte, il reçut l'ordre d'entrer. Ce vieillard avait-il quelque don de médium ? On aurait plutôt pensé que Masatada, avec ses grosses bottes, faisait un boucan du Diable en marchant.
Il poussa la porte, retrouva l'intendant -dont il venait d'oublier le nom- toujours à la même place. Son air n'avait pas changé. Tout en enlevant son chapeau et en rehaussant ses lunettes, Masatada s'avançait jusqu'au bureau d'un pas lent. Le bruit de ses pas ressemblait à celui du général botté qui passe ses rangs en revue ; solennel.
Tout en s'arrêtant juste devant le vieux, son sourire s'étendit.

"Vous m'avez fait chercher."

Il ne posa aucune question directe. Ce n'était pas à lui de questionner mais à HaO de répondre.

Devant le mutisme de son interlocuteur, HaO se décida enfin à ouvrir la bouche de mauvaise grâce :

- Bien je suppose que vous savez pourquoi vous êtes ici.

Cette réplique était sans doute destinée à énerver Masatada, activité qui semblait réjouir l’intendant, car l’étranger ne pouvait évidemment qu’ignorer la raison de sa venue dans ce bureau. Après quelques instants, le vieillard consentit à s’expliquer :

- Vous êtes volontaire pour la mission [β-2-J-101] ; vous avez bien du courage.

« Volontaire » était un grand mot : Masatada ne devait pas s’imaginer qu’il avait le choix. Il avait été désigné par HaO pour accomplir cette mission, et, de part le ton impératif employé, le non-dit était clair : il n’avait pas le droit de refuser. Mais l’intendant avait-il choisi Masatada pour cette mission parce qu’il pensait que l’étranger pouvait réussir, ou au contraire pour se débarrasser purement ou simplement de lui ? Le candidat pour devenir Tiers allait bientôt le savoir… Sans laisser à l’homme qui rit le temps de protester (de toute façon, il valait mieux pour lui qu’il s’abstienne de tout commentaire), le vieillard reprit :

- Avant de vous expliquer de quoi il s’agit, je vais vous présenter votre coéquipier. Il sera chargé de décider si vous méritez de devenir une Rose Bleue. Je suis sur que vous vous entendrez bien…

Cette dernière phrase avait été prononcée sur un ton très ironique, comme si l’intendant était certain au contraire que les deux coéquipiers ne s’entendraient pas. Un léger sourire sadique fleurit sur le visage du vieillard lorsqu’il murmura en regardant la porte :

- Tu peux entrer…

La poignée tourna doucement, et un homme apparut dans l’embrasure de la porte. Cet homme, Masatada le connaissait déjà : c’était celui qui l’avait accueilli à l’entrée d’Eden; c'était Tama.

- Bien je suppose que vous savez pourquoi vous êtes ici.

Etait-il stupide ou stupide... comment Masatada le pouvait ? Il eut soudainement envie, comme auparavant, de le frapper.

- Vous êtes volontaire pour la mission [β-2-J-101] ; vous avez bien du courage.

Il s'en trouvait retourné : il n'avait rien dit, rien fait, et on lui assignait une mission. Devait-il être flatté ? Plutôt sur la défensive...

- Avant de vous expliquer de
quoi il s’agit, je vais vous présenter votre coéquipier. Il sera chargé
de décider si vous méritez de devenir une Rose Bleue. Je suis sur que
vous vous entendrez bien…

Cela vaudrait mieux pour la mission. Masatada avait l'habitude d'agir seul ; et un coéquipier qu'il ne pourrait pas blairer aurait engendré une mauvaise situation -n'oublions pas qu'il était inutile de faire confiance à ses nerfs très longtemps...-, aussi il restait sur ses gardes.
Sans compter le fait que ce partenaire lui mettrait la pression : c'était lui qui était censé déterminer si l'Homme qui Rit deviendrait Rose Bleue...

°... hé attends un peu... c'est pas la chef qui... ?°

Sa pensée s'interrompit dès qu'il vit QUI l'accompagnerait. Le vieux SAVAIT ! Il SAVAIT que Masatada ne supportait pas Tama !
Surtout, n'en laisser rien paraître.

"Tiens, ce cher... euh... comment s'appelle-t-il déjà..."

Les yeux dissimulés derrière les épais verres orange dansaient de colère. Il faisait preuve d'une maîtrise de lui-même fantastique. Comment pouvait-on être aussi retors !

"Mais au fait."

Il n'allait pas accepter sans chercher à comprendre -non mais !

"Ce n'était pas la chef que j'étais censé voir avant de faire quoi que ce soit ?"

Piquer HaO, même si cela était un jeu dangereux, était bien agréable. Mais surtout, n'en laisser rien paraître...

°Une minute... c'est LUI qui doit déterminer si... oh non...°

HaO esquissa un semblant de sourire en entendant la question de Masatada ; ce nouveau venu n’était peut-être pas si bête après tout… En tout cas, oser s’adresser aussi directement au vieil homme était une preuve de courage. Enfin, ces deux qualités ne le sauveraient certainement pas. A cette idée, l’intendant eut un nouvel accès de joie indiscernable, et fixa l’Homme qui Rit quelques secondes dans les yeux avant de répondre de manière très sobre :

- Si.

HaO se tourna ensuite vers Tama : il avait été ravi de son petit effet, et se félicitait d’avoir choisi ce vieux fou comme coéquipier de Masatada, surtout qu’avec un peu de chance les deux y resteraient. L’intendant expliqua au père de Myu ce qu’il attendait de lui, semblant oublier complètement la présence de l’Homme qui Rit, de toute façon si insignifiante :

- [β-2-J-101]

A croire que HaO faisait dans l’économie aujourd’hui… Mais cette simple indication suffit à éclairer Tama, qui était un habitué des missions.


Tama n’aimait pas être convoqué dans le bureau de HaO : cela signifiait toujours qu’on allait lui coller des tas de choses ennuyeuses à faire. Aussi, il fut très heureux quand il aperçut Masatada : effectuer une mission avec un nouveau venu lui convenait parfaitement. Comme il allait devoir évaluer ses capacités, l’homme lui serait tout dévoué ! En entendant l’indicatif de la mission, le vieux fou posa immédiatement la bonne question :

- Autre ? Qu’est ce que vous nous envoyez faire ? Enfin je suis content, cela faisait longtemps que je n’étais pas allé à Eternal Spiral ! Et puis rien de plus reposant qu’une mission où l’on a personne à tuer. C’est vrai quoi, c’est sympa parfois de se fondre dans la population comme ça sans y penser, en oubliant un peu qu’on est mafieux et en se comportant comme tout le monde ! Sans compter que les meurtres ça salit… Et puis…


D’un regard, HaO stoppa net le flot de paroles qui coulait de la bouche de Tama. L’intendant n’était pas sot, et savait bien que sous ses airs de vieux cinglé, le père de Myu cachait une certaine intelligence : ainsi il était impossible de savoir s’il venait de détailler la mission pour l’expliquer à Masatada, ou s’il était juste parti dans un délire… Toujours aussi placide cependant, HaO répondit :

- Vous allez négocier avec les résistants.

L’intendant avait de bonnes raisons d’être d’excellente humeur, même si l’attitude de Tama l’énervait. En effet, il était presque impossible d’arriver à un accord sans se faire tuer, ou sans commettre aucune bévue comme un meurtre ou deux qui ne seraient pas couverts par les Roses Bleues.


L’expérience de Tama lui permit de calculer presque instantanément ses chances de survie, qui étaient faibles avouons-le. Pourtant il n’en laissa rien paraître, et son agaçant flegme ne quitta pas son visage. Il reprit même, comme s’il était parfaitement inconscient des risques :

- On va pouvoir discuter alors ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé avec des gens extérieurs à l’organisation moi, ça va me faire du bien de changer un peu d’air ! Ils pourront nous raconter toutes les nouveautés dans Word End !

Ayant l’air d’avoir une subite illumination, Tama s'interrompit brusquement, se tourna vers l’Homme qui Rit et s’exclama :

- Ah mais c’est vrai que vous-êtes là vous ! Je m’appelle Tama puis que vous semblez avoir oublié mon nom. Moi je me rappelle du vôtre, monsieur Rien du tout !

Le père de Myu éclata d’un grand rire à sa propre blague, comme s’il n’avait jamais rien entendu de plus amusant. Mais entre deux accès d'hilarité, il prononça à l’oreille de Masatada, d’un ton menaçant, complètement différent de celui dont il usait d'habitude :

- Ca tombe bien, je n’avais pas encore fait ma balade aujourd’hui…

Tama arrêta subitement de rire, aussi inopinément que l’hystérie l’avait pris. Il était conscient que tout avait été dit ; il était tant de partir commencer la mission, qui semblait importante. Le vieux fou était fier de lui : il avait réussi à désarçonner le nouveau venu grâce à sa banale phrase prononcée comme une menace. Peut-être lui avait-il même fait peur… A cette idée, le père de Myu faillit se remettre à rire : comme si lui pouvait être méchant ! Tama n’avait jamais de mal à une mouche voyons ! Il était aussi innocent que l’agneau qui vient de naître ! Le plus pur de tous les mafieux, plus immaculé que quiconque ne pouvait l’imaginer… Effrayer son coéquipier : était-ce sa nouvelle blague du moment ?

Se dirigeant vers la porte en faisant signe à Masatada de le suivre, le vieux fou repensa à la mission qui leur était confiée. HaO savait très bien qu’il n’était pas doué pour les négociations, et le nouveau venu ne semblait pas l’être non plus. Mais il était hors de question que Tama risque sa vie pour faire plaisir à ce sadique... Le père de Myu eut un sourire d'inconscient, comme s'il ne s'en faisait guère : heureusement pour lui, Masatada avait l’air prêt à s’investir pleinement dans cette mission. En effet, le nouveau venu avait intérêt à être motivé, il allait bientôt le découvrir à ses dépends.

Alors que les deux énergumènes s’apprêtaient à s’en aller, la voix d’HaO retentit une dernière fois, s’adressant bien sur au mafieux et ignorant Masatada, parlant même de lui comme s'il n'était pas là :

- Tama, tu le laisses faire le rapport. En rentrant, enfin si vous rentrez, tu viens directement me voir. Compris ?

Le père de Myu savait que l’intendant n’attendait pas de réponse (le fait que Tama allait obéir relevait de l’évidence), mais il ne put s’empêcher de répondre, par plaisanterie, insolence ou simplement par bêtise :

- D’accord. Alors dès qu’on arrive je l’envoie gratter et moi je viens vous raconter tout pendant qu’il est pas là, pour savoir s’il est digne de devenir membre des Roses Bleues. Parce que c’est vrai qu’il y a des conditions à remplir tout de même, et après tout c’est normal que je n’en juge pas seul. D’ailleurs je me rappelle une fois j’avais accompagné un nouveau venu en mission et…

Tout en parlant, Tama était sorti, suivi de Madatada, et le bruit de la porte qui claquait interrompit le vieux fou dans son monologue. HaO avait décidément du mal à supporter les excentricités du père de Myu… Si Tama n’avait absolument pas l’air vexé, il se tut cependant, et se contenta de se diriger vers l’entrée d’Eden, après s’être assuré que le nouveau venu lui emboîtait le pas.

[ --> Entrée d'Eden ]