Le petit salon des domestiques

Le titre parlant de lui-même, au premier étage, donc l'espace réservé aux domestiques en tout genre, se trouve une petite salle faisant office de salon. C'est là que lorsqu'ils ont du temps libre, c'est à dire peu souvent, les serviteurs discutent entre eux des derniers potins du palais, et Dieu seul sait combien il y en a, ou bien parlent de ce qui se passent en ce moment, politiquement parlant. Quelques canapés de qualité médiocre par rapport à ceux des Nobles, mais tout de même assez confortable sont installés, et la décoration est plutôt jolie en bleu.

===> Clairière Nerine



Sur tout le trajet, Ama n'avait cessé de s'agiter sur le dos d'Atoki, contente qu'il puisse venir vivre au Palais et y travailler, ce qui lui permettrait de le connaître un peu mieux. S'empêchant de faire tomber sa casquette, la jeune fille avait saluer plusieurs fois des gens qui la connaissaient sous le simple nom d'Ama, gamine espiegle et insensée, qui jouaient très souvent avec les garçons depuis toute petite, même si la plupart du temps, ces derniers l'embêtaient un peu, comme ils faisaient tous entre 15 et 25 centimètres de plus qu'elle, mais cela ne l'amusait qu'un peu plus :

- On va bientôt arriver ! Youpi !

Et en effet, l'étrange petit groupe put se glisser discrètement jusqu'aux grilles du Palais Impérial, le contournant par l'arrière.



Lorsque ce fut fait, Sebastian s'avança doucement vers la petite Impératrice pour la prendre dans ses bras et la poser au sol, malgré ses protestations :

- Rentres toute seule. Atoki va rester avec moi pour que je le fasse engager, ne t'inquiètes pas pour lui.

- Mais tu promets de rien lui faire hein ?

Le conseiller ne fit qu'hocher la tête pour répondre, et Ama adressa alors un dernier sourire pétillant à Atoki avant de partir en direction du petit tunnel sous la grille. Lorsque ce fut fait, le jeune homme se tourna vers l'ex-Rose Bleue. Et en effet, la petite avait raison d'être inquiète, car il avait à présent l'occasion de le liquider sur le champs, et ce sans le moindre problème. Cependant, il ne pouvait trahir sa protégée, et donc indiqua le chemin à son interlocuteur :

- Venez avec moi.

Comme l'homme-loup était avec Sebastian, personne ne daigna l'empêcher d'entrer ou venir lui parler pour lui demander ce qu'il faisait là lorsqu'ils pénétrèrent dans le Palais Impérial. Et ainsi, Atoki pouvait observer les différentes décorations, toutes plus magnifiques que les autres. Grimpant alors les escaliers, les deux pseudo cousins arrivèrent dans un petit salon au premier étage. Lui montrant le canapé pour lui indiquer où s'asseoir, le conseiller lui expliqua rapidement ce qui allait se passer :

- Ne bougez pas d'ici, je reviens. Je vais aller voir quel poste est libre en ce moment, et ensuite, je reviendrai vous indiquez ce que vous devrez faire. N'oubliez pas, je vous ai à l'oeil.

Et de plus, ce palais était un vrai labyrinthe, donc impossible, après y être entré juste une fois, de s'y repérer. Donc pour l'instant, il devait se contenter de rester ici. De toute façon, il ne prendrait pas trop de temps.

Qu'est-ce qu'il ne fallait pas entendre de la part des autres domestiques de ce Palais. Oui, un nouveau, c'était sûr que c'était excitant, la nouvelle s'était répendue alors qu'on était même pas sûr que c'était le cas. Certes, Sebastian-sama n'amenait jamais d'inconnu, et le fait qu'il l'ait emmené au premier étage ne pouvait signifier que peu de chose. Cependant, tout le monde s'était déjà mis en tête qu'un nouvel arrivant avait fait son entrée et devrait s'intégrer. Certaines filles même, l'ayant aperçu, en avaient fait les louanges physiques, provoquant l'agacements de la gente masculine. Mais que l'on se rassure, Aoi ne faisait pas partie de ces gens-là. Elle avait juste envie d'éviter les autres qui ne cessaient de l'importuner à cause de son prénom. Oui, Aoi était un prénom unisexe, mais bien souvent, il n'était porté que par des garçons, et de surcroit, il avait été porté par un Empereur, alors imaginez bien les remarques que l'on pouvait lui faire.

Pourtant, la jeune fille n'avait rien de masculin. Ses longs cheveux d'un bleu foncé presque noirs se rependaient en une longue cascade sur son dos, les réhaussant tout de même un peu à l'aide de deux petites couettes réunissant quelques mèches. Sa timidité et son sentiment de faiblesse, provoquant chez la plupart de ces messieurs quelques sentiments que nous n'expliquerons pas ici, se lisaient avec facilité dans ses grands yeux miel. De plus, sa robe bleu ciel légère soulignait avec facilité ses courbes typiquement féminines. Alors avec toutes ces descriptions, n'allez pas croire que parce qu'elle s'appelle Aoi, elle est un homme, car la surprise vous ferait tomber à la renverse.

Bref, la jeune fille s'était presque "infiltrée" dans le salon des domestiques, pensant pouvoir lire un peu. Car même en étant une fille, elle avait continuer à lire toute seule sans l'aide de personne. Cependant, quelle ne fut pas sa surprise de voir cet inconnu, ce nouveau venu, dans la pièce. Restant derrière la porte entrouverte, seule sa petite tête restait visible dans l'entrebaillement, ses longs cheveux pendouillant. Tout en le détaillant du regard, Aoi essayait de trouver le courage de lui parler, car s'il allait bien faire partie de cette "grande et belle famille", il lui faudrait bien faire connaissance avec lui, et de plus, si elle arrivait à lui faire bonne impression, peut-être aurait-il un peu de respect envers elle, contrairement à la plupart des gens qui travaillaient dans ce palais :

- Euh...

Cependant, aucun mot, aucune phrase ne lui vint en tête. Que devait-elle dire à un inconnu ? De plus, il n'avait pas l'air très sociable, mais Aoi ne devait pas juger sur les apparences. Prenant son courage à deux mains, elle en profita pour entrer dans la pièce, fermant la porte derrière elle avant de fixer toujours le jeune homme. Et puis, était-il plus vieux ou plus jeune ? Impossible de savoir, étrange... Secouant la tête, la petite domestique s'empêcha de rester déconcentrée, puis lança :

- Pardon. J'ai dû vous déranger...

Quelle idiote, elle n'arrivait même pas à lui poser de question. Mais elle était ainsi, sa timidité naturelle prenant sans cesse le dessus, même dans les moments où elle tentait de se forcer. Immobile, aucun mot ne vint dans son esprit.

Tout en restant adossée à la porte, Aoi ne pouvait décrocher son regard d'Atoki, tellement elle était piquée par la curiosité. Comme quoi, elle-même n'y avait pas échappé comme les autres domestiques, à cette envie d'en savoir plus. Mais il était vrai que les nouveaux venus, ça n'était pas courant, il fallait en général un certain talent, et surtout des motivations. Les hommes souhaitaient une reconnaissance et les femmes une certaines liberté en vivant tout en échappant au mariage. Cependant, les raisons d'Aoi étaient tout autres, mais nous ne les evoquerons pas ici.

Bref, la jeune fille essayait de ne pas se laisser destabiliser par la présence de cet inconnu, et pour se faire, elle fit glisser son regard vers le bas, comme elle avait l'habitude de le faire de toute façon. Les mots ne venaient toujours pas, ce qui la rendait deux fois plus mal à l'aise, car elle ne pouvait pas s'empêcher de tripoter son livre pour essayer de se détendre, caressant la couverture ou tirant sur la reliure. Cependant, les paroles de ce nouveau venu la destabilisèrent une nouvelle fois, et elle laissa tomber son livre avant de vite se baisser pour le ramasser. Bon, au moins, il ne semblait pas lui être hostile parce qu'elle l'avait dérangé, ce qui était un bon point. Mais avant même qu'elle ne puisse répondre, l'inconnu continua sur sa lancée, et la nouvelle la surpris au plus haut point. Il était le cousin de Sebastian-sama ?! Cela semblait presque improbable, et pourtant tellement logique lorsqu'on y pensait, puisque le conseiller personnel de l'Impératrice ne ramenait jamais de gens de l'exterieur. Mais s'il était de sa famille...:

- Ah... Ah bon... Je ne savais pas que vous êtiez de sa famille. Pardonnez-moi.

Il cherchait un travail, et il y avait en général pas mal au Palais, jamais assez de personnel qu'on disait. Se redressant, Aoi n'osa pas s'avancer, restant bloquée près de la porte en fixant l'inconnu. Si Sebastian-sama lui-même s'occupait de lui trouver du boulot, il ne devrait pas y avoir de problèmes, il fallait juste espérer que ça ne serait pas quelque chose de trop désagréable.

Enfin, le nouveau venu se présenta. Atoki alors ? Etrangement, elle n'avait jamais connu un tel prénom, cependant, elle était assez mal placée pour faire des remarques là-dessus, et d'ailleurs, ce dernier s'attendait certainement à ce qu'elle se présente à son tour, mais pour tout dire, Aoi avait honte de son nom. Ainsi, elle n'osa pas le faire, restant toujours adossée à la porte, gardant le livre contre sa poitrine :

- Hum... C'est joli comme prénom...

Quelle idiote, avec un tel comportement, elle ne se ferait même pas respecter par cet inconnu, comme avec tous les autres domestiques. Tout le temps, elle essayait de s'imposer, mais sans grand succès, récoltant juste les moqueries des autres, et bien plus d'une fois, elle se faisait embêter :

- Je... Je suis...

Elle ne savait pas comment dire son prénom, ni comment se justifier du fait qu'elle mette aussi longtemps pour le dire. Les yeux clos, elle prit sonc courage à deux mains :

- Enchantée de vous connaître.

Au final, elle n'avait pas osé. Les joues rosies, l'une de sa main cacha son visage, comme pour camoufler sa honte soudaine.

Visiblement, le comportement intimidé de la petite Aoi semblait énerver Atoki, ce qui n'arrangea pas les sentiments de la jeune fille. Elle n'aimait pas savoir que des gens commençaient à la détester à cause de son comportement complètement inexpressif. Oui, elle devait apprendre à sortir de sa coquille, à parler avec les autres de manière naturelle et compréhensible. Après tout, elle-même souhaitait tellement que les autres la considèrent un peu mieux, mais à chaque fois qu'elle essayait, c'était comme si elle faisait un pas en arrière, se brimant de plus en plus tout en provoquant colère et saute d'humeur chez son interlocuteur. Les yeux baissés, elle fit glisser une de ses mèches de cheveux derrière son oreille droite, ses joues toujours aussi roses.

Pourquoi était-elle ainsi ? Aussi gênée et aussi bête. Pourtant, elle n'avait pas choisit un tel comportement, et ça n'était pas non plus elle qui avait préféré travailler ici, dans ce Palais, alors qu'elle y vivait depuis toujours. Elle avait beau être très jeune, elle avait plus d'experience que la plupart des gens qui oeuvraient ici, et connaissait cette résidence comme sa poche, y comprit quelques passages dont seules certaines personnes connaissaient l'existence. Et même avec cela, elle n'avait aucune considération de la part des autres domestiques, ces derniers préférant se moquer d'elle. Parfois bien sûr de façon affective, car il arrivait que son côté mignon et largement féminin, et oui, on a pas besoin d'être une poupée barbie pour être aimée des hommes, plaisent autant qu'aux hommes qu'aux femmes où elle déclenchait un sentiment parental ou même un sister complex; mais aussi de façon détestable et moqueuse, comme la plupart des gens qui se pensaient au-dessus d'elle. Chez les hommes parce qu'elle était une femme, et chez les filles parce qu'elle n'était pas très forte, du moins en répartie. Et de cette façon, elle s'attirait les foudres lorsqu'elle faisait une bêtise, comme si tout était entièrement de sa faute. Oui, Aoi était faible, elle n'avait jamais sû s'imposer durant toute sa vie, et surtout depuis quelques catastrophes concernant sa famille, elle n'avait personne pour l'aider, ou au moins la guider.

Préférant éviter de repenser à son malaise, la jeune fille resta immobile tout en fixant Atoki une nouvelle fois. Elle devait vraiment être énervante pour qu'il fasse une telle tête, et elle ne comprenait même pas pourquoi il ne l'avait pas fichu dehors, comme la plupart des gens d'ici. Mais tant qu'il ne le faisait pas, elle devait en profiter et tenter de se faire bien voir pendant ses quelques instants d'indécision. Sentant qu'il tentait de plaisanter, elle eut un rire nerveux, sans pour autant bouger de sa place :

- Ah, oui bien sûr, en effet.

Son livre collé à sa poitrine, Aoi préféra ne pas regarder Atoki dans les yeux, les laissant en direction du sol, comme pour signifier sans le savoir une sorte de domination mentale. Car oui, elle ne pouvait pas s'empêcher de se sentir inférieure aux autres. Comme quoi, peut-être était-ce un peu de sa faute. Mais il fallait qu'elle arrange le problème. Ecoutant l'interrogation du jeune homme, elle sentit une petite poussée de courage lui monter, et aussi un sentiment de confiance dans ce qu'elle allait dire :

- Bien sûr que oui ! Si Sebastian-sama s'en charge, alors il n'y a aucun problème ! Vous serez pris c'est certain !

Sa main libre alla une nouvelle fois se placer devant ses lèvres, comme si elle en avait trop dit. Ses yeux toujours en direction du sol, Aoi s'avança timidement en direction du canapé, mais s'installa juste en face, le plus loin possible d'Atoki. Bon, au moins pouvait-on la féliciter de cet effort de déplacement. Mais pour éviter à cet inconnu de se poser trop de questions, la jeune fille répondit à ses autres interrogations en gardant son livre contre elle. Tant qu'on ne parlait pas d'elle, cela allait :

- Ah, je ne sais pas si je peux vous comprendre, mais je suppose... Que je ressentirai la même chose si j'étais envoyé en campagne. Sebastian-sama est votre cousin, donc il pourra tout vous expliquer. Les gens sont vraiment gentils ici, il ne faut pas croire... Surtout que vous avez l'air très sympathique, il ne devrai pas y avoir de problèmes.

Gentils ? Sympathique, hein ? Aoi ne choisissait décidément pas les bons mots, vu qu'elle parlait de domestiques qui constituaient pour la majorité d'entre eux, ses tortionnaires. Oui, il y avait des gens vraiment gentils, il ne fallait pas en douter, mais la plupart étaient égoïstes, ne souhaitant qu'accéder au rang le plus haut, quitte à écraser les autres. Certains voulant grimper le plus vite possible, profiter de leur rang spécial pour faire tout ce qui était pourtant illégal, accéder à des informations... Bref, tout y était. Quand à l'impression qu'allait donner Atoki... Il n'était pas physiquement ingrat, et son côté taciturne avait déjà fait grande impression auprès de la gente féminine. Bref, elle ne mentait qu'à moitié. Puis pour répondre à sa seconde question :

- Sebastian-sama était le conseiller de celui qui devait devenir notre Empereur, le Prince Geki... Mais depuis la mort de ce dernier, il s'occupe de notre Impératrice. Il ne la quitte pas d'une semelle et remplace pratiquement tous les domestiques qui devaient se charger d'une tache spécifique. En plus de la conseiller, il choisit ses vêtements, l'accompagne pour la promener, lui ramène à manger dans sa chambre, il l'habille, il l'aide à se laver, et reste avec elle quelque soit son chemin, sauf très rarement.

Bon, bien sûr, il ne dormait pas dans sa chambre non plus, mais c'était tout comme puisque la sienne était juste en face, alors que logiquement, il devrait loger au premier étage. Pourtant, étant en quelque sorte son garde du corps... N'importe qui aurait put être énervé, mais pas Ama, non, celle-ci avait l'air tellement contente à chaque fois qu'elle était avec Sebastian-sama... Parfois, Aoi ne pouvait s'empêcher d'envier la petite Impératrice, non pas pour son pouvoir ou ses richesses, mais pour son esprit. D'accord, elle était immature, mais elle disait pourtant ce qu'elle pensait sans arrêt et ne laissait personne lui marcher sur les pieds, ou plutôt elle ne s'en rendait pas compte, mais au moins elle n'en souffrait pas, et la jeune fille aurait tellement voulu être comme elle, peu importe les sacrifices. Comme quoi, notre souveraine n'était pas totalement détestée ou méprisée.

Dieu, ce que c'était difficile le contact avec les étrangers ! Aoi avait pourtant essayer de quitter sa timidité naturelle pour se faire un allié, mais sans grand succès, et de plus, elle avait visiblement, avec toutes ses réponses, plongé Atoki dans de profondes reflexions. Bon, après tout c'était normal, arriver dans un nouvel endroit, très loin de tout ce qu'on a toujours connu, ça donne le tourni et ça embrouille. Et bien sûr, la jeune fille n'était pas du tout au courant à propos des liens unissant cet inconnu avec l'Impératrice elle-même et son fidèle conseiller, excepté qu'il serait le "cousin" de ce dernier, ce dont elle ne doutait absoluement pas bien sûr. Oui, il était vrai qu'elle était un peu naïve, mais en même temps, qui en douterai, à moins quelqu'un de parano ?

Pour en revenir au sujet en question, la domestique se demandait si elle avait le droit, ou plutôt le courage, de poser une ou deux questions à Atoki, craignant un peu de le déranger, car après tout, cela ne la regardait absoluement pas :

- Quelque chose vous dérange ?

Serrant avec un peu plus de force le livre contre sa poitrine, Aoi essayait de ne pas être trop déstablisée en parlant correctement tout en tentant d'être la plus discrète possible. Cependant, elle n'eut pas tellement le temps d'aller plus loin, puisque cet inconnu lui proposa de lui faire visiter s'il était pris, tout en lui demandant son prénom, chose qu'elle craignait, mais à laquelle elle devait s'attendre. Après tout, n'importe qui ne continuerait pas une telle conversation sans connaître son interlocuteur :

- Aoi... Aoi Kane...

A cause d'un problème de famille, elle avait du changer de nom lorsqu'elle était toute petite, et ne se souvenait pratiquement pas avoir porté son ancien patronyme. Mais en même temps, peut-être que cela valait mieux, puisque si les autres connaissaient son petit secret, qui sait ce qui se passerait pour elle ? Pour en revenir à la conversation, Aoi, craignant encore une moquerie, préféra se lever rapidement, prête à s'enfuir au moindre éclat de rire ou au moindre signe d'ironie. Cependant, un bruit se fit entendre et la jeune fille tourna les talons, apercevant la poignée bouger avant que la porte ne s'ouvre.



Et de cette porte apparut Sebastian, le fameux conseiller et "cousin" d'Atoki. Son regard neutre se heurta à la présence de la jeune fille face à lui. Tout d'abord étonné, il comprit bien vite la situation en voyant le livre entre les bras de la domestique. Celle-ci plaça alors sa main face à ses lèvres, comme si elle avait été surprise en plein délit. Les joues rouges, ses yeux se tournèrent en direction du sol, d'autant plus qu'il n'était pas seul.



Et en effet, un homme était juste derrière lui. Son regard perçant traversant toute la salle avant de se poser sur le nouveau venu, celui qui donc allait devenir un nouveau membre de cette grande et heureuse famille où notre cher Katsuya était le chef incontestable et craint. Un sourire mesquin apparut sur son visage, puis changea lorsqu'il vit la petite Aoi, encore gênée :

- Vous êtez encore là, vous ? Déguerpissez, il y a de la poussière au sous-sol, allez donc nettoyer ça.

On pouvait bien se demander si le principal supérieur des domestiques de ce Palais le faisait exprès, mais tout le monde savait bien que la jeune fille détestait aller en bas, et pourtant... De toute façon, elle commençait à en avoir l'habitude, même si sa peur était toujours aussi profonde, mais lorsque tout le monde lui ordonnait à tout bout de champs d'y descendre, se régalant de ses larmes qu'elle essayait de cacher et de ses jambes tremblottantes :

- En... Entendu, Katsuya-sama...

Adressant un dernier regard à Atoki, la jeune fille quitta la pièce tout en gardant son livre contre elle, sous le regard neutre de Sebastian qui referma la porte derrière elle. Puis celui-ci s'avança vers l'homme aux lunettes qui s'empressa de les remonter :

- Katsuya-san, voici la nouvelle recrue. Mon cousin.

- Ah oui... Le fameux campagnard homme à tout faire.

Katsuya alla doucement s'asseoir sur le canapé, face à Atoki. A travers le vers de ses lunettes, l'on pouvait bien apercevoir son regard brûlant perçant, laissant sous-entendre qu'il n'allait pas laisser agir le jeune homme n'importe comment :

- Nom et prénom je vous pris. Et je souhaiterai avoir un aperçu de ce que vous avez fait avant.

En gros, il s'agissait bel et bien d'un entretien. Adossé au mur, Sebastian assistait silencieusement à la scène. Cependant, il avait confiance, normalement, tout devrait bien se passer.

Pour l'instant, Atoki s'en sortait, cela ne faisait aucun doute, puisqu'il n'avait pas l'air d'avoir perdu son sang froid, du moins était ce que pensait Sebatian. Cependant, ce n'était que le début, le vrai spectacle allait commencer dés maintenant, car en effet, Katsuya n'était pas un ange, et encore moins un patron facile. Embaucher pour lui signifiait faire passer une épreuve, peu importe qui se trouvait devant lui. Tout de même, il ne pouvait pas se permettre d'accepter n'importe qui, ce pourquoi le dialogue allait sans doute être difficile. Quand aux méthodes de cet homme...



Remontant doucement ses lunettes, Katsuya n'écouta qu'à moitié les dires d'Atoki. La plupart du temps, les gens qui venaient baratinaient pour avoir un boulot, puisque rien ne pouvait prouver ce qu'ils avaient fait ou non. Ah, vivement le temps où l'on aurait des preuves écrites de sa vie professionnelle, mais pas la peine d'espérer, d'ici à ce que ça arrive, le supérieur ne serait déjà plus de ce monde, ce pourquoi il devait agir à sa façon, et tant pis pour les candidats. De toute façon, tout avait un sens caché, dans les mots ou dans leur physique, il suffisait juste de lire.

Détaillant alors le postulant du regard, l'homme à lunette s'attarda d'abord sur sa carrure. Physiquement, ça allait, mais peut-être pas non plus pour les gros travaux, ça serait trop dur pour lui, dans ce cas, quel travail dans les bâtiments hein ? En revanche, ses mains étaient plus fines, donc pour la cuisine et le ménage, ça pouvait aller. Après, s'il avait des connaissances... C'était à voir.

Toujours assis sur le canapé, ses mains croisées face à son visage, Katsuya ne cessait de dévisager Atoki, avant de répondre :

- Je vois donc que vous avez pas mal d'aptitudes... Sans indiscrétions, où avez-vous appris ces compétences ? Hormis les travaux de champs, j'entends bien.

A présent, ses sens devaient rester en éveil face au jeune homme, car n'importe quelle clignement de l'oeil ou haussement de sourcil était indicateur d'un sentiment, et l'homme à lunette cherchait à trouver le point qui ferait perdre ses moyens à son interlocuteur. Certes, il était fort possible que cette question ne suffise pas à éveiller les faiblesses, mais il s'agissait d'un entretien, cela pouvait durer aussi longtemps qu'il le voulait. Et bien entendu, pourquoi avait-il besoin de connaître une telle chose ? Pour éprouver la force du candidat bien sûr, vérifier qu'il pouvait supporter pratiquement un interrogatoire à sa façon et voir s'il avait les nerfs solides. De même, s'il avait besoin de les écraser dans un avenir proche, il saurait comment faire.

Cependant, il existait des exceptions bien entendu. Katsuya n'était pas surhumain, il arrivait qu'il ne puisse percevoir ce qu'il souhaitait au travers des questions ou du comportement de son interlocuteur. Le plus flagrant était d'ailleurs Sebastian. Depuis le temps que l'homme à lunette convoitait sa place, mais il n'avait toujours pas trouver de problème, ou alors un seul, l'Impératrice. Mais elle-même ne serait atteignable que s'il se débarassait de son conseiller. En gros, la boucle était bouclée, et impossible de rentrer dedans, du moins pour l'instant. Il devait bien y avoir un autre moyen. Mais il ne fallait pas penser à ce type, et plutôt se concentrer sur Atoki tout en gardant un visage impassible. Il ne faudrait tout de même pas qu'il se rende compte lui-même de son point faible, ce serait beaucoup trop ironique, n'est-ce pas ?

Bien bien... Ce jeune homme candidat au poste de domestique n'était pas quelqu'un qui se laisserait découvrir si facilement. Mais déjà, rien que comme cela, il avait put fournri un indice à notre cher Katuya. Car si son comportement au ton naïf et sa réponse tout à fait, et même "trop" normale, ne donnait pas tellement d'information concernant son histoire, l'homme à lunette se doutait bien qu'un simple campagnard serait beaucoup plus déstabilisé par un entretien. Peut-être se trompait-il, cela arrivait bien entendu, et le meilleur exemple était Sebastian, mais notre supérieur avait la très forte impression que sous cette carapace solide se cachait un vilain petit secret. Katsuya pourrait-il le découvrir ? Pour être franc, non, en tout cas, pas lors d'un simple contrat d'embauche. Mais au moins, il avait pu mettre la main sur quelque chose, même si son regard ne transmettait aucune émotion visible.

La règle la plus importante était de ne jamais laisser montrer ses sentiments, et ça, Katsuya l'avait appris plus d'une fois dans sa jeunesse, tout en couvrant les bêtises et les problèmes de son "petit frère". D'ailleurs, en parlant de lui... Avait-il trouvé un travail ? Oui, sans doute, alors pas la peine de se faire du soucis, l'homme à lunette l'avait toujours vu comme un poids, et cela se sentait puisqu'il pensait à lui en plein milieu d'un entretien, donc, stop ! Pas la peine d'aller plus loin. Ses mains toujours face à son visage, le jeune homme fixa Atoki de son regard perçant tout en inspirant légèrement, un sourire un peu moqueur et mesquin se traçant légèrement sur ses lèvres :

- Je suppose que comme vous n'avez pas beaucoup d'argent dans votre vie, vous souhaiteriez que cela change. Prévoyez-vous d'en envoyer à votre famille, ou bien souhaiteriez-vous en être seul maître ?

Oui, Katsuya avait continuer sur sa lancée, comme s'il s'était subitement intéressé à la question d'argent plutôt que les compétences. N'importe qui y verrait les questions de salaire, mais ça n'était pas ce à quoi notre homme s'intéressait. Car en effet, répondre à cette question lui donnerait aussi quelques indices sur sa situation familiale ou sur son caractère précis. Car après tout, la famille était un bon facteur d'obéissance lorsque l'on proférait quelques menaces. Mais bon, rares étaient ceux qui s'occupaient vraiment de leur proche dans ce Palais d'imbéciles. La plupart n'en avait plus, oui, c'était la guerre après tout, mais d'autres se fichaient totalement de leur parents, de leurs frères et soeurs, de leurs enfants même... Mais ça n'était pas grave, car la plupart du temps, ils avaient des points faibles d'autant plus facile à percevoir : problème financier, de coeur, ou bien alors ceux qui avaient en général un tueur ou un mafieux collé aux basques, et certains même étaient complexés par leur situation sociale en essayant d'être toujours au-dessus des autres sur tous les points. En gros, un palmarès d'idiot que l'homme à lunette pouvait facilement manipuler. Mais il y avait encore du travail pour ce candidat. Et de toute façon, il avait le temps de très bien s'en occuper.



Toujours adossé à la porte, le conseiller de l'Impératrice suivait la conversation avec attention, ses yeux rouges fixés sur les deux hommes. Katsuya était un dur, vraiment tyranique avec les candidats et même avec les autres domestiques, mais il fallait avouer que le gamin n'était pas très facile à berner non plus. Evidemment, quand on sait que c'est un ancien mafieux, on comprend plus facilement. Certes, Sebastian n'avait pas non plus passer un entraînement là-bas, mais il se doutait bien que ça n'était pas un camps de vacance. Dire que si Ama s'était retrouvée devant l'homme à lunette, elle aurait tout de suite essayé de lui grimper dessus, et en voyant ses efforts vains, aurait finit par bouder et trouver un objet pour le lancer sur lui. A cette pensée, le conseiller eut envie de rire, mais se retint vivement. Mieux valait ne pas perturber l'ambiance lourde qui s'était installée.

Ecoutant passivement le candidat, Katsuya remonta doucement ses lunettes pour cacher son regard grace au reflet du soleil. Donc ce gamin donnerait de l'argent à un commerçant pour l'envoyer à sa famille ? Subtil, mais quel plan douteux, car pour quelques pièces, en ces temps de crises, n'importe qui pouvait faire n'importe quoi, alors comment ses parents pouvaient-ils avoir une telle confiance en un "commerçant" ? Oui, la confiance était une chose que notre supérieur ne comprenait absoluement pas, et de même, il se posait bien des questions sur le fameux Atoki. Etait-il vraiment un petit paysan à deux neurones placé sous la garde de l'homme au grade le plus important de ce Palais ? Ou bien quelque chose d'autre de bien plus intelligent et de bien plus dangereux, non seulement pour la famille Impériale, mais également pour son objectif personnel. Il était très dangereux de garder cet homme ici, mais la curiosité de notre cher ami avait été piqué au vif, et il lui fallait étudier chaque danger pour être sûr d'être de plus en plus capable d'accéder à cette place tant désirée. Et puis, les épreuves, c'était excitant non ? Et c'était bien ça qui faisait vibrer notre homme à lunette, qui doucement, sortir une feuille de papier de sa poche, puis un pinceau et un pot d'encre, qu'il avança vers Atoki après l'avoir placé sur la table basse :

- Voici votre contrat. Et également...

Katsuya farfouilla une nouvelle fois dans ses affaires avant de sortir une autre feuille, mais cette fois-ci un peu plus abîmée, et le papier était entouré de bordures dorées :

- Voici, comment dire... Une déclaration de silence. Sachant que vous allez travailler ici, il y a de fortes chances pour que vous ayez "l'honneur" de voir l'Impératrice. En signant cette déclaration, vous promettez de ne jamais révéler la moindre information à son sujet à une personne exterieure. Ah, et bien sûr, si vous le faîtes, nous le saurons instantanément, et il semblerait que l'Assemblée ait opté pour la pendaison pure et simple si vous ne respectez pas cet ordre. Alors, toujours partant ?

Un sourire moqueur et désagréable se traça une nouvelle fois sur le visage de l'homme à lunette, qui se laissa un peu allé en s'appuyant sur le canapé, les bras croisés. Si le petit était venu pour autre chose qu'un simple travail, il allait devoir en payer un petit sacrifice, enfin, seulement s'il était venu piocher des informations sur l'Impératrice. Mais à présent, il fallait lui trouver quelque chose à faire. Tout en réfléchissant assez vite, Katsuya jeta un bref coup d'oeil à Sebastian avant de sourire une nouvelle fois :

- Bien, Sebastian-san, puisque c'est votre cousin, il va vous remplacer dans un seul travail, vous en faîtes déjà tellement il faut dire. Pourquoi n'apporterait-il pas le nécessaire dans la chambre de notre souveraine ? Vous deviez en avoir assez de lui amener ses vêtements ou ses repas.

Et de plus, en lui donnant ce métier, c'était un moyen de l'avoir à l'oeil tout en surveillant Sebastian, et également de vérifier ses réactions en présence de l'Impératrice.



Sebastian se doutait bien que ce cher superieur allait préparer un coup comme celui-ci, mais ce qu'il ne savait pas, c'est que cela arrangeait le conseiller, puisqu'il pourrait ainsi empêcher Atoki de s'enfuir s'il le souhaitait, même s'il se doutait bien qu'il ne pourrait pas être sur son dos 24h/24. Simplement, s'il avait fait part à Katsuya de ses intentions, celui-ci aurait tout de suite envoyé l'ancien loup dans un autre secteur. Mais ne pas montrer ses sentiments était le mieux à faire, et, sous un sourire mielleux qui avait le don d'énerver l'homme à lunette, Sebastian s'inclina doucement :

- Mais bien entendu Katsuya-san, que cela ne me dérange absoluement pas. Je vous remercie d'avoir accepté mon cousin en ces lieux.

Ce dernier allait certainement penser que l'entretien avait été bien court. Qu'il se détrompe, car il n'était pas terminé. Avec Katsuya, toute la période où vous travaillerez sous ses ordres constituait forcément comme une période d'essai. Celui-ci continuait de fixer Atoki, attendant que ce dernier ait le cran de prendre le pinceau, de le tremper dans l'encre et de signer le contrat et sa déclaration de silence.

Eh bien, eh bien... Visiblement, l'ennonciation du fait que s'il trahissait, Atoki trouverait la mort, ne sembla pas du tout choquer ou effrayer ce dernier, acceptant de signer sans la moindre hésitation. Cela plaisait beaucoup à Katsuya, qui se redressa doucement avant de prendre les deux documents pour vérifier les papiers. Procédure obligatoire même si elle était idiote, après tout, personne ne connaissait la signature d'un nouveau venu, comme pour être sûr qu'elle était authentique. N'importe quoi. En revanche, l'homme à lunette ne put s'empêcher de remarquer quelque chose. L'école n'était-elle pas obligatoire au stade primaire ? Non pas qu'il doutait que ce nouveau domestique ne sache écrire, mais après tout, il n'avait pas du suivre d'autres enseignements tels que les gens de son sexe pouvaient recevoir. De toute façon, qui pouvait aller en cours en temps de guerre ? Il n'y avait pas besoin de justification, et le supérieur ne s'y attarda pas.

Roulant les deux papiers avant de les glisser dans sa veste, le jeune homme se tourna vers Sebastian et Atoki, s'inclinant alors très poliement, le sourire en coin. Il avait pu piocher quelques informations sur ce nouveau, et puis, étant le présumé cousin du conseiller de l'Impératrice, peut-être pourrait-il présenter une occasion en or de trouver la faille dans la carapace de cet homme hautain et désinvolte. Oui, rien n'était à négliger, mais il ne fallait pas non plus montrer son humeur, et il n'y avait pas non plus besoin d'être joyeux. Ca n'était que des suppositions :

- Eh bien, cher Malison-san, à la seconde même où vous avez signé, votre travail à commencer. Je laisse à Sebastian-san le plaisir de vous indiquer vos tâches, mais que je ne vous prenne pas à paresser.

Son sourire en coin n'avait toujours pas disparu, et Katsuya tourna doucement les talons avant de prendre la porte, laissant le conseiller de l'Impératrice avec son nouveau "protégé".



Les yeux rouges de Sebastian ne quittèrent pas la porte des yeux jusqu'à ce que celle-ci claque, avant de se tourner vers Atoki, le détaillant du regard. Bien, jusque là, tout s'était bien passé, il avait été reçu, et c'était tout ce qui comptait. De plus, s'étant visiblement pris d'affection pour Ama, il pouvait bien être content de ce travail, mais qu'il ne rêve pas trop, car le jeune homme serait toujours lui. Croisant les bras, le conseiller prit la parole d'un ton professionnel :

- Bien, puisque votre travail va consister à ramener le nécessaire dans la chambre de l'Impératrice, il va vous falloir une liste précise et des horaires. Je ne pense pas que cela sera trop dur, vous devriez remercier Katsuya-san de vous avoir donné un travail aussi facile.

Ne parlant ni de leur rencontre, ni de leurs problèmes communs, Sebastian restait silencieux tout en essayant de trouver le moyen de bien expliquer à Atoki les moments où il devrait venir, et surtout ce qu'il devrait ramener. Sortant une feuille de papier, le conseiller la tendit au jeune homme avant de montrer l'encre et le pinceau encore sur la table :

- Souhaiteriez-vous noter ce que je vais vous dire ? Ou bien pensez-vous tout retenir dés le début ?

Mieux valait prendre la première option, surtout quand on savait qu'Ama commandait des dizaines de gateaux par jours toutes les cinqs minutes. Bon, ça n'était pas non plus comme si elle était extrêment sévère, mais lui l'était, et il n'avait pas très envie d'empêcher la petite de bouder ou de piquer une petite crise d'enfant gâté.

Sebastian avait-il dit quelque chose qui avait dérangé Atoki ? Car en effet, celui-ci eut l'air choqué de savoir qu'il lui faudrait noter toute une liste des choses à ramener à la petite Impératrice. Et encore, il avait de la chance, car ça n'était pas lui qui s'était occupée d'elle lorsqu'elle était enfant, il fallait toujours changer de nourrice tellement Ama était insupportable, voulant toujours s'enfuir pour courir et s'amuser dans les jardins, se cachant parmis les hautes herbes en observant les fleurs et les papillons tout en piaillant comme les oiseaux. Mais après tout, peut-être allait-il lui aussi être une victime ? Depuis la mort de Geki, c'était le conseiller qui s'était toujours occupé de l'adolescente, sans jamais être remplacé, alors pour dire s'il était professionnel. Pour Atoki, rien n'en était moins sûr, l'avenir le dira s'il en est digne.

Bon, de toute façon, le nouveau domestique était bien obligé d'accepter ce travail, car il aurait pu tomber sur bien pire, comme Sebastian l'avait dit auparavant, et surtout, il n'avait pas le choix. A la moindre fuite, ou même tentative, le conseiller le liquiderait sur place, et sans ménagement. Après, pour l'expliquer... Ce serait sans doute un peu plus compliqué, puisqu'il avait précisé qu'il s'agissait de son cousin. Oh, il trouverait bien une excuse, et vu son rang, il n'avait pas à s'en faire, même s'il savait bien que Katsuya
l'avait à l'oeil. Depuis un moment d'ailleurs, ce dernier ne cessait de l'observer avec son sourire en coin et ses yeux perçant, mais Sebastian n'était pas stupide, il se doutait bien que ses raisons étaient plus que cupides, enviant sa place. Après tout, dans son état, l'Impératrice était malléable à merci, et devenir son homme de main équivalait à pratiquement régner sur Shangri-la, ce pourquoi le jeune homme travaillait d'arache pied pour qu'elle devienne indépendante et fasse ses propres choix. Mais vu la situation, cela risquait d'être assez dur.

Revenant à la situation, le conseiller s'aperçut qu'Atoki lui avait posé une question. Kimino ? Sebastian en avait connu plusieurs pendant ses trente années d'existences, il faudrait qu'il précise un peu :

- "Une certaine Kimino" ? Auriez-vous des précisions ?

Mais il fallait quand même revenir au travail, car bientôt, il serait l'heure de retourner voir la petite Impératrice. Le jeune homme n'aimait pas la laisser toute seule, car s'il lui avait dit de retourner dans sa chambre, elle avait très bien pu faire autre chose en même temps, et elle n'était pas à l'abri. Car si l'Assemblée n'était pas encore passée à l'action, d'autres personnes pouvaient s'en prendre à elle. Peut-être pas les domestiques, mais Geki avait bien été assassiné au moment où personne ne s'y attendait, alors pourquoi pas Ama ? D'ailleurs, en repensant à son défunt amant, Sebastian ressentit une pointe de tristesse. Car même s'il avait été couronné, il aurait été obligé d'épouser cette femme qui lui avait été promise. Donc dans tous les cas, Geki lui aurait été enlevé.

S'empêchant de secouer la tête, le conseiller tenta de retrouver son objectif, à savoir, dicter son travail à Atoki :

- Bien, donc la liste. L'Impératrice est toujours obligée de se lever tôt, et pour l'aider à se réveiller, elle a besoin d'eau chaude. Bonc vers 7:00, vous devez apporter une bassine remplie d'eau chaude, avec bien sûr son petit déjeuner, à savoir un bol de chocolat et des fruits. Si elle vous réclame des gâteaux, ne l'écoutez pas.

Autant commencer doucement et laisser le nouveau noter. Car la liste serait probablement longue, et même si son travail consistait à ramener des affaires à Ama, il aurait probablement des choses à faire lorsqu'il se trouverait dans sa chambre.

Sebastian semblait connaître une ou plusieurs Kimino, ce qui redonna espoir à Atoki : il avait enfin un semblant d’indice. Cependant, il allait être difficile d’apporter des précisions sur ce que le loup ignorait : s’il recherchait la trace de sa grand-mère au hasard, c’était bien parce qu’il ne savait que très peu de choses d’elle. Il essaya tout de même de fouiller dans ses souvenirs, et répondit :

- Elle avait les cheveux très noirs et était d’un tempérament calme et réfléchi. Elle est entrée dans ma famille en épousant mon grand-père il y a vingt-quatre ans de cela ; elle avait environ vingt-cinq ans à l'époque et disait venir de Shangri-La. C’est à peu près tout ce que je sais d’elle. Est-ce que cela vous dit quelque chose ?

Les yeux de l’adolescent étaient tournés vers Seb dont la réponse pouvait être pleine de promesses. Son regard était presque suppliant ; il cherchait la famille de Kimino depuis si longtemps ! Toute la fragilité et la jeunesse d’Atoki ressortait à ce moment-là, prouvant qu'il n'était finalement pas si différent d'Ama. Cependant, cet instant fut de courte durée, et l’ex-Rose Bleue reprit son visage ferme et impassible qu’il arborait généralement. A noter que l'ex-Rose Bleue avait prononcé les mot "ma famille" avec insistance, pour sous entendre qu'il voulait dire par là que Kimino avait rejoint la mafia, ce qui ne manquerait pas d'échapper à Seb. Il était donc à la recherche de la famille d'une femme née à Shangri-La il y avait déjà cinquante ans de cela, et qui avait disparu mystérieusement un beau jour à vingt-cinq ans, sans laisser de trace.

Le loup remarqua alors que le conseiller semblait soucieux, et il se demanda ce qui pouvait préoccuper cet homme qui semblait aussi impitoyable qu’indestructible. Comme pour se sortir de ses pensées, Seb commença la liste des choses à apporter à l’Impératrice, qu’Atoki se hâta de noter, de sa fine écriture. Qui était d’ailleurs rapide et travaillée, tout le contraire de sa prétendue signature. Il ne fallait pas que quelqu’un tombe sur ces notes… Tout cela commençait à devenir sacrément compliqué. Et dire que cela ne faisait que quelques heures à peine qu’il était ici. L’ex-Rose Bleue soupira, tout en continuant de gratter.

Cette Kimino était donc la grand-mère d'Atoki ? Pas étonnant qu'il tente de la chercher, et surtout, il était donc logique qu'il puisse se changer en loup alors qu'il venait de la mafia. Mais alors, depuis combien de temps était-il sur le territoire de Shangri-la ? Allez savoir, car il n'y avait pour l'instant pas besoin de le savoir. Cependant, si les dates étaient exactes, Sebastian ne pourrait pas tellement fournir d'aide au jeune homme, car il y avait vingt quatre ans, il n'avait que six ans, et si elle était entrée dans la mafia, jamais il n'aurait pu avoir de contact avec elle par la suite :

- Vous m'en voyez désolé, mais je ne peux vous fournir aucune aide sur ce sujet. Cependant, si elle est entrée dans la mafia, elle a du être notée "disparue" dans nos archives. Mais vous n'avez pas le droit d'y accéder.

Et puis, pourquoi l'aidait-il d'abord ? Ce gamin avait réussi à mettre la naïve Impératrice dans sa poche et avait pu echapper à une mort certaine grace à cela. Et avouons-le, le conseiller n'aimait absoluement pas voir Ama se comporter comme ça avec cet inconnu sans importance. Et encore, il savait qu'elle était toujours ainsi, mais qu'on en profite, ça, c'était intolérable, et Sebastian s'arrangerai pour mener la vie dure à Atoki si cela pouvait protéger la petite. Ce pourquoi il ne fit pas de pause et continua à propos de l'emploi du temps de l'Impératrice :

- Et profitez-en aussi pour lui ramener ses vêtements lorsqu'elle sera au bain. Ensuite, vous débarasserez pour son petit-déjeuner. Revenez à 10:00 pour lui ramener ses affaires de travail, car oui, il faut bien qu'elle étudie, pour une Impératrice. De même, il faut ramener son violon. Profitez-en pour amener un gâteau, sinon, elle ne voudra pas travailler.

Le jeune homme avait l'impression que, maintenant que ce domestique allait travailler ici, l'Impératrice n'allait plus pouvoir se concentrer convenablement. De toute façon, il veillerait à ce que son emploi du temps soit toujours respecté, peu importe la façon.

Le regard toujours fixe de Sebastian était posé sur Atoki, comme pour essayer de lire en lui, savoir ce qui le tracassait, et par la même occasion, connaître ses intentions. Car bien entendu, le conseiller n'avait toujours pas confiance en lui et le gardait à l'oeil, bien décidé de l'attraper à la première faute commise. De plus, il avait bien vu que sa réponse n'avait pas plus au jeune homme, et il y avait de quoi : le conseiller était dans l'impossibilité de connaître la Kimino qu'il recherchait, car même s'il avait l'air d'appartenir à un certain âge, notre homme était encore assez jeune ! Est-ce que trente ans, c'était déjà un signe de vieillesse pour les petits morveux comme celui qu'il avait en face de lui ?! Pour se calmer, Sebastian toussota un peu, sa main ganté devant sa bouche. Cependant, rien qu'à le voir fixer son gant noir, on pouvait se douter que le conseiller était en train de penser à quelque chose. Si cet ancien mafieux cherchait une mafieuse actuelle, c'est qu'elle n'était plus avec les Roses Bleues non ? Dans ce cas, était-elle à Shangri-la ? Le conseiller préféra ne pas se poser la question, car les conclusions hatives ne menaient qu'à des erreurs.

Sortant de ses pensées, ce fut à ce moment là que le jeune homme s'aperçut que le nouveau domestique était en train de rêvasser pendant qu'il prenait des notes. Les sourcils froncés, Sebastian tapa alors brutalement Atoki sur la tête avec le côté de sa main :

- Dit donc ! Sortez un peu de vos rêveries, et écoutez un peu !

Car en effet, l'ex-mafieux pouvait posséder les meilleurs oreilles du monde et faire deux choses en même temps que le conseiller ne le laisserait absoluement pas faire. Quand on prend des notes, on écoute, point barre. Mais en y réfléchissant, ce comportement lui faisait beaucoup penser aux deux Kami, Geki et Ama. Car en effet, pendant les études, ces deux là ne fournissaient absoluement pas le moindre effort, préférant réfléchir et partir pour un monde merveilleux au lointain. Ou bien, lorsque Sebastian était leur tuteur, les deux réclamaient des câlins de sa part, le frère comme la soeur. Non, en fait, à vrai dire, Atoki ne leur ressemblait pas, et le conseiller ne lui ferait jamais d'enlaçade. De une, parce qu'il n'était pas son type d'homme, de deux, parce qu'il le détestait et aimait encore Geki, et de trois, il était plus que probable que ce gamin pense la même chose. Bref, il fallait passer au travail :

- Ensuite, à midi, ce sera l'heure du repas. Notre Impératrice souhaite toujours de la compagnie, donc lorsqu'elle déjeunera, vous serez à mes côtés pour la surveiller. Pas à table bien sûr, vous vous en doutez bien. En la raccompagnant à sa chambre ou à la salle du trône, veillez à ce qu'elle n'ait rien oublié. L'après-midi, notre souverraine est toujours prise, donc vous n'aurez rien à faire, si ce n'est préparer ce qui va suivre. A 16:00 tapante, elle souhaite avoir son goûter, donc vous vous doutez bien de ce qu'elle veut.

Des gâteaux, ça on s'en doutait facilement. A force, Sebastian s'était toujours demandé si elle n'allait pas finir par être lassé, mais il n'en était rien.

Sebastian avait-il fait mal à Atoki en le frappant ? Eh bien c'était le but, et même s'il ne s'était pas plaint, il n'avait qu'à s'en prendre qu'à lui même pour ses instants de rêveries. Peut-être que chez les Roses Bleues on agissait ainsi, mais pas au Palais Impérial. Ici, on bossait, et il était rare que l'on ait le temps de partir pour un monde merveilleux dans sa tête. Le conseiller tira un peu sur son gant pour éviter qu'il ne reste plissé après avoir frappé puis le jeune homme. Celui-ci d'ailleurs était en train de machouiller le pinceau qui lui servait à écrire :

- Ce matériel ne vous appartient pas. Si vous l'abîmer, vous y metterez de votre poche.

Nan mais oh ! Qu'est-ce qui retenait Sebastian de tuer Atoki sur place et de faire croire à Ama qu'il avait raté son entretien pour entrer à son service ? Bon, d'accord, il l'avait promis. Et de plus, il était bien incapable de mentir à la petite Impératrice, du moins après un pacte. Alors mieux valait ne pas penser à le supprimer, bien que l'idée lui plaisait énormement. Cependant, le conseiller n'eut le temps de continuer qu'il entendit un bruit dans le couloir, avant que trois jeunes filles n'arrivent. Des domestiques du palais, chargées de faire la vaisselle, et de bien belles pipelettes d'ailleurs. Toujours en train de se raconter les derniers potins de la journée tout en répendant des rumeurs. Le meilleur moyen de faire diffuser un secret dans les deux prochaines heures, c'était bien de le leur révéler.

Celles-ci, à la vue du petit nouveau, se précipitèrent dans sa direction, zappant complètement leur supérieur tout en s'agitant et en s'excitant. Mais qu'elles avaient mauvais goût ! Et surtout, elles n'avaient pas l'air de se rendre compte qu'elles gênaient, ces imbéciles. Sur ce point, Atoki avait même l'air de lui demander de l'aider sur ce coup. Oh bien sûr, il aurait pu le laisser pour voir, mais il n'y avait pas de temps à perdre. Sebastian tapota donc doucement dans ses mains :

- Mesdemoiselles, vous voyez bien que vous dérangez notre nouvel arrivant. Alors retournez travailler ! Et au pas de course !

Sa main en avant et les yeux blancs, des éclairs apparaissaient derrière le conseiller, signe d'une intense colère retenue, ce qui effraya bien vite les trois jeunes filles. Affolées, elles obéirent en vitesse avant de refermer la porte derrière elle. Le jeune homme poussa alors un soupir avant de regarder Atoki :

- Ne vous méprenez pas, elles retourneront vous enquiquiner lorsqu'elles auront l'occasion. Et donc, pour terminer, le soir, ramenez le dîner dans sa chambre. C'est tout ce qu'il vous reste. A présent, je vous conseiller de relire vos notes. Lorsque ce sera fait, suivez moi, il faut que je vous montre le chemin jusqu'à la chambre de notre Impératrice.

Sebastian ne fit que tourner les talons avant d'ouvrir la porte, où l'attendaient en vérité les trois domestiques, qui n'avaient pas bouger d'un poil tout en espionant la conversation :

- DEGUERPISSEZ !

Il n'eut pas besoin de dire autre chose que les trois enquiquineuses s'enfuirent en vitesse. Le conseiller regarda une dernière fois sa source de problème et de fatigue, avant de s'avancer pour lui montrer le chemin jusqu'aux appartements d'Ama.

[ --> chambre de l'Impératrice ]